Toussaint : le chrysanthème, la
"fleur des veuves" Par Louis
Morice le 01-11-2013
Le jardinier en chef à Versailles
Alain Baraton raconte comment, en France, le chrysanthème s'est retrouvé
associé au jour des morts. Interview.
Chrysanthèmes dans un cimetière le jour de la Toussaint
La fréquentation des cimetières
en France est en baisse et, logiquement, les tombes sont de moins en moins
fleuries. Pourtant, à l'instar du muguet le 1er mai, le
chrysanthème reste la star incontournable de la Toussaint. Jardinier en
chef du Grand parc de Versailles mais aussi chroniqueur sur France Inter, Alain Baraton nous raconte l'étonnante destinée de
cette plante arrivée en France au XVIIIe siècle.
Le chrysanthème a-t-il toujours
été associé à la mort ?
- C'est amusant de voir qu'en France le chrysanthème
est devenu une plante mortuaire, utilisée pour orner les tombes lors des fêtes
de novembre alors qu'en Asie, il est symbole de joie, de gaité et d'éternité.
Comme je suis un grand romantique, je vais vous parler du langage des fleurs
qui comptait beaucoup au XIXe siècle : à l'époque, quand vous offriez un
bouquet de chrysanthèmes, cela signifiait l'amour absolu. Aujourd'hui, si vous
en offrez un pot pour une soirée galante, je ne suis pas sûr que la dame
apprécie beaucoup. Le chrysanthème est devenu la fleur des morts lorsque
Raymond Poincaré, en 1919, avait exigé que tous les monuments aux morts de
France soient fleuris. Si cette fleur est devenue emblématique de la Toussaint,
c'est tout simplement que c'est l'une des rares qui soient encore, du point de
vue floraison, spectaculaire à cette période. Avec une trentaine de milliers de
monuments aux morts en France, la décision de Raymond Poincaré a donné un essor
commercial énorme au chrysanthème !
Son statut bascule
donc à la fin de la Première Guerre mondiale ?
- L'image que l'on a de
l'armistice, ce sont ces femmes tout de noir vêtues qui portent sur la tombe
de leur défunt mari des chrysanthèmes. On l'appelait d'ailleurs la fleur des
veuves. Comment voulez-vous qu'une plante résiste à une telle appellation ?
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Et d'où vient cette fleur ?
- Le chrysanthème a été rapporté d'Asie. Son nom
signifie plante à fleurs jaunes car à l'origine, ils étaient jaunes. Les
Chinois les cultivaient il y a 2.000 ans. Ils les vénéraient et les
travaillaient un peu à la manière des bonzaïs. En Asie, cette plante a une
symbolique démente. A Tokyo, tous les ans, dans le parc principal, est exposé
une présentation de chrysanthèmes spectaculaire. Les Tokyoïtes s'y rendent par
dizaines de milliers. Offrir des chrysanthèmes au Japon, c'est un symbole
d'éternité, de grandeur, d'excellence. C'est la plante la plus parfaite qui
soit. Sa fleur est d'ailleurs le symbole de la famille impériale.
Le succès de cette plante est-il
limité à l'Asie et à la France ?
- Le chrysanthème est la plante la plus vendue au
monde. Et il n'y a qu'en France qu'on lui donne cette connotation mortuaire.
Lorsqu'il a été introduit en France, aux alentours des années 1770, la plante
été considérée comme merveilleuse, sublime et extraordinaire. Les botanistes
n'auront de cesse de la reproduire, de l'améliorer. Il existe quantité de
chrysanthèmes dont certains sont d'une beauté et d'une finesse vraiment
agréables.
La France est-elle un grand
producteur de chrysanthèmes ?
- C'est, en tout cas, un pays qui en consomme beaucoup
! En termes de plante mortuaire, chaque année, 25 millions de pots de
chrysanthèmes sont déposés sur les tombes en France. C'est considérable. Mais
ce n'est rien par rapport à des pays comme le Japon ou les Etats-Unis qui
cultivent la plante comme fleurs à couper. A l'échelle mondiale, nous restons
donc un petit pays producteur.
Cette plante est-elle condamnée à
perpétuité pour la Toussaint ?
- Il y a eu des essais de
débaptiser certaines variétés pour les vendre sous un autre nom pour essayer de
redonner une autre réputation à la fleur mais c'est très difficile. Il m'est
arrivé d'offrir un petit chrysanthème à petites fleurs vraiment joli, produit
ici à Versailles,
mais dès que vous dites chrysanthème, ça reste la plante des tombes. Et puis,
quand on voit les horticulteurs qui sortent ces gros chrysanthèmes avec des
têtes énormes, violacées, c'est à se mettre une balle dans la tête. Il ne faut
vraiment pas aimer la personne pour mettre ça sur sa tombe !
Propos recueillis par Louis
Morice - Le Nouvel Observateur
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